L'espéranto est-il compatible avec la défense des langues minoritaires ?
Une langue à vocation universelle peut-être réellement être compatible avec la promotion de la diversité linguistique ?
11/16/20233 min read
Une langue pour franchir les barrières linguistiques
L’espéranto est une langue construite créée à la fin du XIXe siècle par Louis-Lazare Zamenhof, un ophtalmologue polonais avec un rêve. Cette langue avait, dès sa création, l’ambition de devenir une langue universelle, un ultime véhicule linguistique qui permettrait à tous les peuples de discuter ensemble et de passer outre les barrières linguistiques.
Cette langue a donc évidemment été créée dans un but noble, celui de rapprocher les gens et de rendre le monde un peu plus accessible à l’ensemble de ses habitants et ainsi, d’abattre les barrières linguistiques qui les séparent. Zamenhof lui-même voyait trop souvent cette difficulté à communiquer et à se comprendre dans son pays natal où cohabitaient le polonais, le russe, le yiddish, le biélorusse et l’allemand.
Mais voilà, qui parle d’abattre des barrières linguistiques parle aussi souvent d’assimilation et d’uniformisation. En effet, trop de locuteurs de langues minoritaires connaissent le prix d’une langue commune et savent que le prix à payer pour cette dernière est l’abandon pur et simple d’une partie d’eux-mêmes. La question se pose alors, peut-on soutenir le projet espérantiste tout en restant un défenseur des langues minoritaires?
Force est de constater que les lingua franca ont toujours existé, que ce soit le latin dont découle l’occitan, le français qui a peuplé l’Amérique du Nord et qui demeure désormais dans une bonne partie de l’Afrique où l’anglais qui s’impose souvent comme la langue de la civilisation occidentale. Mais, contrairement à toutes ces langues, l’espéranto n’appartient pas à un peuple en particulier et c’est même là sa caractéristique principale.
Une langue qui n'appartient à personne
Ainsi, contrairement au latin, au français ou bien à l’anglais, l’espéranto n’arrive pas en conquérant, elle n’est pas le fruit d’une colonisation et personne ne peut véritablement en revendiquer la propriété. De la même manière, puisque l’espéranto n’appartient à aucun peuple en particulier, c’est une langue qui doit être apprise par tous. L’écrasante majorité de ceux qui souhaitent parler espéranto doivent donc l’apprendre, ce qui, de facto, place tout le monde sur un pied d’égalité.
Ou, du moins, c’était le projet, mais, il faut bien l’admettre, le vocabulaire de l’espéranto provenant en grande partie des langues indo-européennes, il est fort probable que les locuteurs de ces langues auront une plus grande facilité à l’apprendre. Néanmoins, il est indéniable que la grammaire et la structure de l’espéranto en font une langue alienne aux langues européennes. En effet, son caractère agglutinant la rapprocherait plutôt du turc ou de l’indonésien.
Ainsi, cette langue-là ne peut pas avoir la prétention de remplacer les langues maternelles des autres peuples puisqu’elle n’existe que pour surmonter les barrières qu’érigent les langues malgré elles. Et, puisque l’espéranto ne bénéficie pas du prestige que l’on peut associer à un conquérant ou bien à un peuple en particulier, elle ne constitue pas une si grande menace sur les langues minoritaires.
Une langue engagée
Paradoxalement, l’espéranto menacerait plutôt l’hégémonie des lingua franca actuelles. En effet, il s’agit là d’une langue simple à apprendre, qui ne connaît pas les exceptions et les dédales des langues naturelles, et qui plus est, constitue un terrain neutre, exempt d’a priori.
C’est probablement en partie pour cette raison-là que, parmi les centaines de milliers d’espérantistes, beaucoup sont sensibilisés à la question des langues minoritaires. Certains espérantistes sont d’ailleurs eux-mêmes des locuteurs de langues minoritaires, et ils comprennent les mécanismes qui peuvent entraîner la disparition d’une langue.
Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des congrès espérantistes mettre de l’avant les cultures et les langues autochtones, comme lors de l’édition de 2022 qui s’est tenue à Montréal. Peut-on encore dire que l’espéranto est un obstacle aux langues minoritaires quand il est utilisé comme moyen de communication entre les locuteurs de l’occitan et du guarani et comme une façon de refuser l’hégémonie d’une autre langue?
On retrouve aujourd’hui l’espéranto aux quatre coins du monde et, même si l’anglais est encore aujourd’hui la lingua franca de facto à travers la planète, il est évident que l’espéranto a réussi à se tailler une place parmi les langues utilisées pour faire tomber les entraves à la communication, tout en respectant les particularités et la légitimité de chacun.
L’espéranto ajoute donc, lui aussi, sa petite étoile verte à la mosaïque des langues du monde.
Avec l’aimable participation de Nicolas Viau, président de la Société québécoise d’espéranto (SQE)
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