Renaissance ou chant du cygne?
Que ce soit en Catalogne, en Occitanie ou en Nouvelle-Zélande, on entend souvent parler de renaissance. Mais que devient ce mouvement quand ses initiateurs disparaissent?
Jeanne Durrieu
9/26/20246 min read
Dans l'univers des langues minorisées, on entend très souvent parler de renaissance. Que ce soit en Occitanie, en Catalogne ou même en Nouvelle-Zélande, les exemples de "renaissances" sont nombreux. En fait, dès qu’une langue qui était en déclin connaît un regain d’intérêt, le terme de renaissance apparaît spontanément. Que cette renaissance soit due à des lanceurs d’alerte qui mettent en garde contre une extinction annoncée, comme pour le cas du maori, ou bien qu’elle soit due à un mouvement littéraire et culturel comme celui des Félibres en Occitanie, le terme de renaissance est rapidement sur toutes les lèvres.
Et après?
Mais, près de 50 ans après la renaissance maorie, et plus de 150 ans après la respelido occitane, où en est-on vraiment? Est-ce qu’un regain d’intérêt est le signe que la survie de la langue est assurée? Est-ce que, parfois, ce qui est vu comme une renaissance n’est rien d’autre qu’un chant du cygne? Un dernier éclat avant que les ténèbres entraînent la disparition d’une langue une fois pour toutes?
On identifie la renaissance du maori au début des années 1970, quand une nouvelle génération de Maoris s’inquiéta de voir leur langue décliner. Alors parlée par seulement 5% de leur communauté, le pire était à craindre. Face à cette situation critique, les étudiants sont descendus dans la rue, se concentrant sur les défis auxquels faisait face le maori et sur l’urgence de le sauver, lui et la culture qui y était rattachée. Grâce à cette prise de conscience, d’incroyables initiatives ont vu le jour, des écoles en maori ont ouvert, la langue a acquis un statut de langue officielle, et des organismes linguistiques ont vu le jour. Une société entière s’est rangée derrière la promotion de cette langue unique et irremplaçable. Aujourd’hui, le maori n’est plus dans une situation aussi critique que dans les années 70, et beaucoup de linguistes sont optimistes quant à son avenir. Néanmoins, certains restent préoccupés par les résultats de certains modèles mathématiques qui indiqueraient que le maori se dirige vers l’extinction. D’autant plus que certaines politiques récentes mettraient en péril certains des acquis qui ont permis cette renaissance.
Bon, on pourrait donc se dire qu’après un mouvement si important de renaissance, une langue pourrait être considérée comme sauvée, ou au moins, en bonne voie.
Mais si l’on regarde le cas du provençal, cette conclusion ne semble pas si évidente. En 1854 naissait le Félibrige, une association qui a promu le provençal, et donc l’occitan, comme aucune avant elle. En quelques années, le provençal se dotait de dictionnaires, de livres de grammaire, d’une normalisation de son orthographe, ainsi que d’une foisonnante littérature. Sous l’égide de Mistral, le provençal a refleuri comme jamais auparavant. Il a même brillé sur la scène internationale lorsqu’il a gagné un prix Nobel de littérature. Cette renaissance a indéniablement permis au provençal, et à l’occitan en général, de se maintenir afin qu’il nous parvienne aujourd’hui. Mais, contrairement au maori ou au catalan, cette renaissance n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir, un rappel de ce que l’occitan était en Provence, de tout le potentiel qu’il avait dans ses mains quand Mistral était vivant. Aujourd’hui, le nom de Mistral est fièrement brandi à l’est, y compris par des gens convaincus qu’il parlait un « patois » impropre qu’il convient de laisser dans le passé, accompagné par les Arlésiennes et leur costume du XIXe. À l’ouest, là où l’occitan résiste encore et où les calandretas* fleurissent, le nom de Mistral n’est pas aussi bien accueilli. Bien sûr, la plupart des occitanistes d’aujourd’hui respectent son œuvre et son combat, mais ils sont aussi très conscients de l’usage qui est fait de son héritage, de la division qui s’est créée entre Provençaux et Occitans, et du tort que cet héritage cause encore, malgré lui, à la défense de l’occitan. Malgré cette renaissance, et même malgré Mireille et son prix Nobel, on entend encore dire que l’occitan n’a pas de culture écrite. On le met en porte-à-faux avec le catalan, qui, lui, aurait réussi sa renaissance, qui, lui, est une vraie langue. On utilise Mistral comme un pantin folklorique.
Pourquoi une telle différence?
Alors quoi? Certaines renaissances marchent et d’autres non? Est-ce là la morale cruelle de l’Histoire? Certaines langues sont vouées à disparaître, croulant sous trop de stigmas et ce peu importe à quel point on se bat? Ou alors est-ce que la différence entre une renaissance et un chant du cygne se trouve ailleurs?
Mais quand on regarde les exemples que l’Histoire nous donne, un facteur crucial semble distinguer les réussites des échecs : la perspective. Voit-on cette renaissance comme un point de départ ou bien comme une ligne d’arrivée? Se contente-t-on de ce que les Mistral de ce monde ont fait, ou est-ce qu’on construit par-dessus? Conserve-t-on de manière maladive ce qu’ont fait ceux qui nous ont précédés? Ou sommes-nous prêts à remplacer ce qui pourrait être amélioré, ce qui n’est plus qu’une folklorisation qui nuit aux luttes contemporaines?
Certains parleront de traditions, de respect pour les Anciens. Mais beaucoup oublient qu’anthropologiquement, une tradition naît de quelque chose qui n’est plus nécessaire, qui n’a plus d’utilité pratique et à laquelle on colle une utilité symbolique. Les Arlésiennes sont très belles, mais aident-elles vraiment le provençal à résister? Inspirent-elles la nouvelle génération à voir le provençal comme une langue actuelle, utile ou plutôt comme un bibelot que l’on ressort une fois l’an pour le parader devant les yeux curieux des Parisiens? Le chant du cygne aussi est magnifique lorsqu’on ignore ce qui vient après. Et le respect pour les Anciens? Est-ce que vous pensez que Mistral serait fier de voir que, même 150 ans après, la littérature provençale continue à brandir Mireille comme point central? De voir qu’on a laissé sa langue et sa culture dans le même état que le jour de sa mort? Pensez-vous que Mistral a laissé le passé se mettre sur la route du Félibrige et de ses réformes linguistiques?
J’ai moi-même grandi avec ces Arlésiennes, ces gardians protégeant une Histoire, mon histoire. J’y suis attachée. J’ai vu des statues de Mistral dans les rues de ma ville, la même qui l’a vu briller, qui l’a vu changer la face du monde. J’aurais aimé que tout ça suffise à ma langue. Mais j’ai aussi dû me résoudre à affronter la dure réalité. Il n’y a aucun cursus d’occitan à l’Université d’Avignon. L’université la plus proche me permettant d’apprendre ma langue est celle de Montpellier. Les quelques calandretas provençales restantes peinent à se maintenir, la culture provençale pense même qu’elle n’a pas besoin de parler patois pour continuer à exister. Elle pense qu’il suffit de sortir des mots comme « ensuqué » et « pichoun » pour survivre. Elle se trompe. Le provençal meurt peu à peu, et avec lui, tout ce qu’a accompli Mistral est réduit en cendres. Mireille n’est plus qu’un magnifique chant du cygne, un dernier soubresaut, avant que l’obscurité l’emporte avec elle, à tout jamais.
Alors méfiez-vous de ceux qui parlent de renaissance, ceux qui semblent se contenter d’un soubresaut. L’allégresse nous fait souvent confondre renaissance et chant du cygne. Ce n’est pas parce qu’on célèbre une langue qu’elle perdurera. Elle ne perdurera que si, et seulement si chacun est conscient de l’effort soutenu et de la remise en question permanente qui devra l’accompagner. Si chacun réalise que nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne et que ceux qui suivront auront le courage de remettre les traditions en question pour permettre à la langue de rester pertinente. Et vous, êtes-vous sûr(e) que tous les efforts que vous faites aujourd’hui continueront quand vous ne serez plus là?
*Les calandretas sont des écoles monolingues ou parfois bilingues en occitan.
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